vendredi 23 novembre 2012

CHAPITRE 1


Elle surplombait son territoire de toute sa grandeur, de toute sa majesté.
Dans les ténèbres de la nuit, l’Impératrice du Ciel et des Océans déploya ses ailes. Comme un appel lancé aux confins de l’obscurité, la lune fit son apparition suivie de ses filles. Dans un geste gracieux, elle ouvrit sa gueule et de son souffle de glace, forma un miroir. Flottant sous la voûte céleste sa surface ondula et dans un murmure le visage d’une femme se dessina.
— Tu m’as invoquée ?
— Je t’ai appelée en effet douce Solstyce. répondit l’Impératrice. Le moment est venu... 
La dénommée Solstyce lui adressa un sourire empli de nostalgie et son regard s’illumina.  
— La nuit est bien belle... murmura la jeune femme d’une voix profondément émue. Cela faisait bien longtemps que je ne l’avais pas admirée. Jadis je me tenais ici, à tes côtés et le seigneur Dragnar était mon compagnon d’armes... 
— Ce temps-ci est passé, aujourd’hui il te faut t’incarner dans ce corps qui t’est destiné de toute éternité, tout comme ton cher amour devra le faire d’ici peu. 
— Dragnar n’a jamais aimé Kalicha... Il le trouvait trop impulsif... 
L’Impératrice du Ciel et des Océans pencha sa tête de côté d’un air interrogateur. 
— Je crois que mon mari était jaloux de l’affection que tu portais à ce mortel. Il aurait souhaité que tu lui appartiennes corps et âme, Kalicha était un obstacle à l’amour qu’il te vouait. 
— Je l’aimais, Tenylessia, tu sais bien à quel point mes sentiments pour lui étaient sincères, Dragnar a été bien plus qu’un compagnon de combat, il fut mon plus fidèle ami, mon arme la plus puissante, un confident et un frère. Souhaitons simplement que celle qui prendra ma place voue le même amour à celui qui sera son allié dans la bataille. 
— J’y veillerai personnellement. Soit sans crainte. 
Tenylessia et Solstyce s’observèrent un moment sans rien dire, elles étaient si différentes, l’une condamnée à vivre éternellement, veillant sans fin sur les jeunes races et la seconde morte prématurément afin d’assurer la sauvegarde de leur monde. 

— Tu es toujours aussi belle Tenylessia, et de ce que je peux juger toujours aussi puissante. Il n’est pas donné à tout le monde de faire tomber la Grande Nuit. 
— Je protège les armes forgées par les déesses et mets au monde ceux qui feront la gloire des Terres Uniques. Pourtant, il va falloir nous dire adieu ma douce amie... Je ne peux obliger les jeunes races à évoluer dans l’obscurité par pur plaisir de la conversation. Cela m’a fait du bien de te revoir, d’entendre à nouveau le son de ta voix.
— J’en fus tout aussi heureuse, mais ne désespère pas, nous nous retrouverons bientôt. Je n’aurai plus la même apparence, mais mon essence et ma puissance vivront en elle. Je te souhaite bien du courage, car la guerre qui t’attend, Ô Impératrice, sera la plus terrible de toutes. 
Tenylessia ferma ses grands yeux d’argent et de son souffle chaud balaya le miroir et l’image de la Dompteuse de Dragons. Lentement, sans faire le moindre bruit, elle rentra dans son antre. L’Impératrice parcourut de longs et vastes couloirs avant de s’arrêter devant une alcôve où dormaient deux jeunes. L’un d’eux arborait la couleur des neiges et le second était de nacre. Ce dernier planta son regard de feu dans celui de sa mère. 
— La Grande Nuit est tombée ?
— Oui mon fils, je devais faire mes adieux à celle qui fut notre souveraine et ma plus fidèle amie. Dors à présent, de dures épreuves t’attendent. 
— J’ai moi aussi été visité... Une femme... Mais je n’arrive pas à savoir de qui il s’agit... C’est ennuyeux. 
— Et que t’a raconté cette femme mon enfant ? Rétorqua Tenylessia quelque peu surprise. 
— Rien de spécial, nous avons discuté de tout et de rien. Mais enfin, je suppose que ce n’est pas important... 
L'Impératrice le laissa se rendormir paisiblement et rentra dans sa caverne le cœur empli d’un espoir nouveau. Elle contempla un moment la voûte scintillante, cadeau du peuple des nains du temps de la gloire de sa maison, puis entra en contact avec l’un de ses rejetons. 
« Machromus, mon fils, voici venue ton heure, il te faut prévenir celui qui règne sur la Rose Noire. Dis-lui que le moment est venu pour lui de rassembler ses alliés et de marcher sur notre ennemi commun, dis-lui que la prophétie de la reine Dariah va se concrétiser. Insuffle à cet homme le courage que tu as su faire naître chez la puissante reine de Daroh, il y a de cela mille ans. » 
Elle n’attendit pas la réponse de son fils, Machromus n’était pas télépathe, mais elle lui fit confiance, elle savait que lui seul pouvait accomplir cette noble mission, car il fut jadis le conseiller de celle qui mena tous les peuples à la bataille. 
Il lui restait une dernière tâche à exécuter, une personne à visiter, mais elle ne pouvait pas le faire à distance, il lui fallait s’éloigner de son sanctuaire. L’Impératrice du Ciel et des Océans déploya ses ailes titanesques et les referma sur son corps. Son image se brouilla et lorsque la magie prit fin c’est une femme d’une blondeur parfaite au visage d’une extrême finesse qui se tint au centre de la salle. D’un geste gracieux, elle fit onduler les multiples volants de sa robe océane et dessina un cercle de magie au sol. À mesure que les traits prenaient forme, une lumière dorée emplissait la caverne et quand enfin l’œuvre fut achevée, l’Impératrice disparut dans le silence le plus complet. 
Tenylessia arriva dans une salle d’un blanc immaculé au plafond infini. Il n’y avait pas de portes, pas de fenêtres, aucune ouverture, mais elle ne se sentait pas en danger. La souveraine des Dragons attendit durant ce qui lui parut être une éternité. Tandis qu’elle commençait à faire les cent pas, une créature, d’apparence humaine, se dressa face à elle. L’homme semblait plus grand d’une tête et son visage était sans âge. Sa longue chevelure de neige lui tombait au creux des reins et sa robe, d’un gris argenté, attestait de son statut au sein de cet illustre peuple. 
— Te voici donc venue. Que me vaut cet honneur ? 
Tenylessia s’inclina en signe de respect et lui parla sans détour.
— Je me tiens devant toi, Haut Mage de l’Empire d’Ôma, car je dois te prévenir de certains événements. Le monde est en mouvement, l’heure approche, enfin, où nos enfants entameront leur dernière bataille. Solstyce s’est réincarnée et Kalicha devrait en faire de même d’ici peu. J’ignore qui sont ceux qui ont été choisis, mais je ne doute pas que tu vas pouvoir me donner une réponse. 
Le Haut Mage ne bougea pas d’un cil, ne fit pas même mine de s'intéresser à elle. D’un geste lent de la main, il fit apparaître un miroir de toute petite taille et y plongea son regard. 
— Tu viens en ce lieu sous le couvert de la Grande Nuit, Ô Impératrice du Ciel et des Océans, tu me demandes de t’aider... Tu sais pourtant bien que mon peuple demeure neutre... 
— Ce n’est pas à moi que tu vas apprendre cela Mârh, je ne sais le que trop bien. Ta neutralité t’a préservée jusque-là, mais pour combien de temps ? Ne me regarde pas ainsi, tu sais bien pourquoi je suis venue, et je te déconseille de jouer à ce petit jeu-là ! Par le passé, seule Suldrune, ta disciple, a accepté de nous aider et son pouvoir servit notre cause bien plus que tu ne le feras jamais. Aujourd’hui c’est de ton savoir dont j’ai besoin, car toi seul peux voir à travers le temps et l’espace. Je ne te demande pas de m’aider, je te l’ordonne ! 
— Tu ne peux ordonner en ces lieux, répondit le Haut Mage, ici tu n’es qu’un insecte que je pourrais écraser par ma seule volonté. Bien que tu demeures l’Impératrice du Ciel et des Océans, la redoutable Tenylessia, tu n’en restes pas moins un dragon, et les dragons ne m’ont jamais inquiété. Je n’ai pas à accéder à ta requête, tu peux quitter ces lieux. 
Tenylessia sentit la colère monter en elle, fallait-il qu’elle mette ses menaces à exécution ? Ce n’était pas là des manières de faire, mais elle ne pouvait pas attendre qu’il change d’avis de lui-même, il lui fallait agir et vite.
— Tu n’écraseras personne Mârh, et tu le sais. La seule en ce monde qui puisse me faire de l’ombre demeure auprès du guerrier millénaire, elle est ta disciple, ton héritière. Veux-tu que j’aille la voir ? Que je lui dise comme tu refuses de m’aider à identifier celle qui succédera à Solstyce ? Comment crois-tu qu’elle réagira ? 
— Tu n’en feras rien, rétorqua Mârh glacial, tu n’oseras pas semer la discorde au sein de mon peuple. 
— Tu crois ? Elle fit la moue et se mordilla les lèvres. Tu penses sincèrement que je vais rester là, à te regarder contempler les étoiles pendant des heures, alors que les événements sont en marche et que tu es le seul qui puisse me fournir certaines informations ? 
Elle éclata d’un rire cristallin qui se répercuta sur les murs de la pièce. « Mon cher Mârh, tu me connais si mal ! Tu vas faire ce que je te demande ou je me rends auprès de Suldrune sur l’heure. Je suis certaine qu’elle sera ravie d’apprendre que tu juges ses sacrifices et la vie de ses amis bien moins importants que ta précieuse neutralité. 
Mârh la dévisagea un instant, cherchant à la faire plier mentalement, or Tenylessia n’était pas femme aisément manipulable. 
— Soit, je te donnerai tes réponses...
— Me voilà comblée. Trouve ceux qui seront les héritiers de Solstyce et Kalicha puis entre en contact avec l’Impératrice de la Mort, je sais qu’elle est en vie, mais j’ignore pour combien de temps encore. Hâte-toi, ou le monde tel que nous le connaissons ne sera plus avant le prochain été. Je dois repartir dans mon Sanctuaire, il me faut être à ma place. 
— Je remplirai cette tâche, mais cette insulte est la dernière que tu me portes, je ne suis pas ton messager. Part sans crainte, je m’exécuterai sitôt que tu auras fait cesser la Grande Nuit. 
Tenylessia s’évapora avant même que le Haut Mage n’ait achevé sa phrase. De retour dans sa caverne elle trouva ses deux fils qui l’attendaient.
Arydia le nacré prit la parole d’un ton implorant :
— Mère, les humains pleurent la disparition du soleil... Ils ne comprennent pas, ils croient à la colère de l’Impératrice de la Mort.
— Mon cher enfant, cette obscurité était nécessaire afin de mettre les pions en place. Va, retourne avec Kasek dans votre alcôve. 
Mârh n’eut pas à attendre bien longtemps que cesse la Grande Nuit. Il scruta en profondeur son petit miroir et vit apparaître le visage de ceux qui étaient les héritiers des antiques héros. D’un geste précis et rapide il le renvoya et fit jaillir une boule d'énergie nacrée au creux de ses mains. Un vent léger balaya la vaste pièce et à ses pieds un cercle de magie se dessina, il se tint au centre et plongea son regard au cœur du globe. Il traversa le monde et s’enfonça profondément au cœur du royaume des ténèbres, son esprit parvint à accrocher celui de l’Impératrice de la Mort, Mordreka, déesse des ténèbres, l’aînée des quatre qui gouvernent aux Terres Unique. 
— Ô toi qui gouvernes au plus profond de la terre, Toi qui portes La Mort en ton sein entends nos paroles et agis, pour que l’équilibre de ce monde soit rétabli. 
— Je vous entends… et agirai si les forces me restent. Murmura la déesse ténébreuse quelque peu surprise d’entendre une voix venant d’au-delà de sa prison. 
— Vous vous êtes trompées, commença le Haut Mage, Ketlais n’était pas le guerrier que vous attendiez. Celui qui se battra pour vous est né il y a quatorze ans, il est son sang et sa chair, mais son âme est celle de Kalicha. Tu dois le trouver et l’emmener à tes sœurs, elles comprendront. 
Des images traversèrent l’esprit de Mordreka et le royaume des humains apparu. Cité fortifiée aux remparts indestructibles. Le paysage se voila et se transforma en un petit village paisible aux abords de la forêt étoilée, le territoire des Elfes et des Galaxies.
— Il y a bien longtemps à présent, avant même que cet enfant ne vienne au monde, j’avais pressenti que vous agissiez beaucoup trop tôt. Ta hâte et ta haine, Impératrice de la Mort, causèrent ton emprisonnement... 
Il fit une courte pause puis reprit. 
« Il vit à Moth et ignore tout de sa destinée… trouve-le ! Et l’espoir renaîtra. Solstyce est prête elle va se réincarner, sous une autre forme, certes, mais elle n’aura rien perdu de sa puissance et de sa beauté. Les dragons vont reprendre leur envol et embraseront le ciel à nouveau pour que s’achève sur ce monde le règne de Dieu Démon.
— Qu’avez-vous vu ? 
— J’ai vu Kalicha et Solstyce réincarnés pour sauver les Terres Uniques. Prenez garde néanmoins, Pheltra Goism anéantira tous ceux qui usent de votre savoir. 
— Je retiens le conseil. Votre peuple sera remercié comme il se doit. Maintenant. Sors de mon esprit ! et admire ce qu’une déesse à l’agonie et rongée par la colère peut déployer comme puissance ! Je n’ai peut-être pas assez de force pour entrer directement en contact avec mes sœurs ou agir sur ma prison, mais un humain… est facile à trouver.  
Le Haut Mage recula du cercle magique et se dirigea vers un palais d’un blanc immaculé. Nulle couleur n’habitait ce royaume, la nuit y régnait en maîtresse absolue. Il traversa de longs couloirs et pénétra dans une salle au plafond voûté et aux murs tapissés de miroirs de toutes tailles. Il se plaça face au plus petit et attendit. 
Son reflet ondulait et il contemplait d’un œil vif les mouvements vibrant à sa surface. Soudain le visage de Mâhr s’effaça, la robe grise s’estompa et l’incroyable se produisit. Mordreka domina dans un ultime effort tous les éléments des ténèbres. Le monde résonnait de sa colère. Le miroir fixa son image sur le village de Moth aux demeures de pierres et aux toits d’ardoises et partout où le soleil brillait, la Nuit, le Chaos apparaissait suivi du bruit sourd du tonnerre et de la pluie. 

*

Mordreka sentait la fatigue l’envahir, néanmoins, elle redoubla d’effort, se concentra, déchaîna les ténèbres et étendit sa vision par-delà le monde. Tandis que son esprit survolait le petit bourg, elle accrocha un mince rayon d’énergie. Elle avait enfin trouvé l’enfant. Il s’affairait dans une grange accompagnée d’un humain.

*

— Allez ! Dépêche ! Nous devons avoir fini d’emballer ces céréales pour la livraison de demain et par la même occasion si on pouvait éviter de se faire tirer les oreilles par ta mère ! 
Arion sortit de ses rêveries et se remit à l’ouvrage. Heureusement il ne lui restait plus que deux ou trois sacs à remplir.
— Oui oui… j’en ai plus beaucoup à faire…
— Et ne salis pas tes bottes et ton pantalon ! 
— Ni ta tunique… rétorqua Arion en imitant sa mère. 
Les regards des deux hommes se croisèrent, un sourire malicieux apparut sur le visage de son père et Arion ne put s’empêcher d’éclater de rire. Sam tapa un grand coup dans le dos de son fils et le propulsa à côté des sacs à remplir. 
— Finissons ceci et rentrons. Le temps est mauvais. Espérons que cet orage se clame rapidement !
Arion ramassa un baluchon, jeta un regard furtif derrière lui et s’approcha des murs. Il aurait juré voir un visage apparaître. Il tendit l’oreille et constata avec frustration que le vent ne se calmait pas. Il redoublait de fureur. Il reprit donc son travail quand soudain une sensation étrange le traversa. Il leva la tête et son regard se fixa sur ce qu’il lui semblait avoir vu quelques minutes auparavant. Il fut comme frappé par le tonnerre et osait à peine bouger. Il ouvrit la bouche pour tenter de prononcer un mot, mais rien. Nul son ne sortit. Il ferma les yeux pour chasser cette vision, mais le résultat ne fut pas celui attendu. 
Le visage disparut, mais une femme perça le voile brumeux. Elle incarnait les ténèbres et semblait aussi destructrice que la foudre. Des pupilles d’or se figèrent dans celles d’Arion et son esprit, martelé de milliers de visions, vibrait au son d’étranges noms qui lui étaient inconnus. Il traversa le temps et parcouru les Terres Uniques comme s’il évoluait au cœur même d’un rêve. 
— Tu connais à présent l’essentiel des guerres qui ravagèrent le monde. Tu dois te soumettre à la destinée qui est la tienne. Au-delà de tout espoir je t’ai trouvé... commença une voix empreinte d’une profonde puissance, tu es le sang et la chair de celui qui échoua. Ton âme est celle de Kalicha, le héros divin. Il me faut faire vite, je ne pourrai maintenir ce contact bien longtemps... Que me réponds-tu, mortel ?
— Qui … Qui êtes-vous ? 
Arion ne reconnut pas sa propre voix, elle semblait se perdre aux confins de cet univers brumeux. 
La femme parut perdre patience, ses yeux se rétrécirent dangereusement, Arion recula d’un pas. La peur s’inscrivant sur son visage. Lorsqu’elle lui répondit ce fut d’une voix sèche, enflammée et impériale.
— Je suis celle qui paya le lourd tribut suite à l’échec de Ketlais. Mon pouvoir s’est appauvri. Il y a plus de mille ans je me faisais nommer l’Impératrice de La Mort. Mais aujourd’hui les mortels m’appellent par mon simple nom. 
Les yeux d’Arion s’écarquillèrent et il eut la sensation que ses cheveux châtains se dressaient soudain sur sa tête.
— Vous êtes une des Quatre Divines dont parlent les légendes ? S’étouffa-t-il dans un mélange de profond respect et de crainte. Le regard d’or le fixa plus intensément encore. Mordreka l’Impératrice qui gouverne à La Mort. Il manqua s’étrangler en prononçant ces mots.
Un sourire se dessina sur le pâle visage et le jeune homme sentit de longs doigts effilés enlacer son avant-bras droit. Une brûlure telle qu’il n’en avait jamais connue le submergea et, quand enfin la douleur cessa, il constata que sa main portait un étrange symbole. 
— Mon présent, pour mener à bien ta mission, mon essence. Tu as désormais un contrôle total sur la mort. Va à présent et pars chercher mes sœurs. Dis-leur que le peuple d’Ôma recevra toute notre gratitude et que Solstyce s’est incarnée. 
D’un geste de la main la déesse mit fin à la conversation. Ses yeux d’or dévisagèrent une dernière fois Arion puis il se retrouva projeté dans la réalité.
— Arion ! Tu as fini ou pas ? Il va bientôt être l’heure, ta mère nous attend ! 
Le jeune homme regarda frénétiquement autour de lui, son travail était achevé... Avait-il terminé son ouvrage tandis qu'il discutait avec Mordreka ? Il comprit, sitôt qu'il vit sa main droite, qu'il n'avait pas rêvé. Le symbole s'y trouvait toujours.
— J'arrive père.
Sam s’approcha de son fils. Il paraissait troublé. D’un geste rapide, Arion fourra sa main dans un des sacs.
— Dis-moi… le temps à l’air de se calmer. Je n’ai plus besoin de toi après ça. Pourquoi n’irais-tu pas à la fête du solstice d’été ? Ce serait l’occasion pour toi de te faire des amis.
Arion savait très bien où son père voulait en venir, et lui-même admettait que la compagnie de ses semblables ne l’intéressait pas outre mesure. Il préférait de loin ses longues balades solitaires dans la forêt étoilée. 
— Si tu veux…
— Bien ! Ceci étant réglé rentrons nous remplir la panse ! Et tâche pour ce soir de ne pas ramener une fille trop maigre ! 
Arion esquissa une grimace et à nouveau les deux hommes rirent de bon cœur.
— Les filles du village sont plutôt jolies, mais bon... rien à voir avec maman ! 
Il jeta un bref regard à son avant-bras et découvrit, étonné, que la marque s’était estompée au point de ne plus la distinguer. Il terminèrent leur rangement et retournèrent donc chez eux dans la bonne humeur, discutant travail et femme. Jamais Sam ne se sentit si proche de son fils unique. 

Vary attendait au coin du feu. Lorsqu’elle les entendit arriver elle se hâta de remplir les assiettes. Après que Sam lui eut annoncé qu’Arion irait à la fête, Vary se dépêcha d’achever son repas. Elle choisit avec soin la tenue qu’Arion porterait et le coiffa pendant dix bonnes minutes. 
Une fois qu’il fut fin prêt, et que sa mère eut quitté sa chambre il chercha de quoi cacher sa main droite. Le jeune homme finit par trouver une paire de gants blancs. Le résultat paraissait plus que correct. Il réajusta sa tunique et rentra son pantalon dans ses bottes. Il ressemblait à un parfait petit écuyer. Arion farfouilla une dernière fois dans une grosse malle en bois et en sortit une ceinture de cuir qu’il passa à sa taille. Il y accrocha une bourse et la remplit des quelques pièces que son père lui avait données.

*

Mâhr détacha son regard du miroir et repartit en direction de l’orbe. À nouveau le sorcier plaça ses mains dessus et tenta de communiquer avec les déesses libres. 
— Ô vous qui gouvernez aux Cieux ! À la Terre ! Aux Océans ! Entendez ma voix et agissez… Ils reviennent ! 
— Nous entendons vos paroles, Haut Mage de l'Empire d’Ôma. 
Mâhr reconnut immédiatement la voix mélodieuse de Celesta.
— Votre sœur est vivante… Elle a trouvé celui qui achèvera la quête.
— L’avez-vous vue ? La voix se fit soudain dure et ferme. Celle qui commande à la Terre avait parlé.
— Ma magie ne connaît certes pas de limite, néanmoins je n’ai pas aperçu le visage de l’Impératrice de la Mort.
— MENSONGES ! Pourquoi vous aurait-elle contacté et pas nous ? 
— Je suis votre serviteur majestueuse déesse des océans et comprends votre frustration. 
Il fit une pause durant laquelle il chercha les mots justes, Océania ne semblait pas d’humeur à discuter. Il reprit enfin d’un ton égal :
— Je ne vénère aucune divinité. J’ai placé depuis bien longtemps ma foi en l’humanité, mais je ne saurais vous mentir. Mordreka vit ! C’est une certitude ! Solstyce s’est déjà réincarnée partiellement, quant à Kalicha, cela ne devrait plus tarder. Avec leur retour, ce sont les Dragons qui vont faire leur réapparition. Ceux que vous croyez éteints parcouront le ciel à nouveau lorsque reviendra sur cette terre la Dompteuse de Dragons ! 
Le sorcier sentit des esprits entrer en contact avec le sien. Les déesses cherchaient une faille dans ses défenses. Il les laissa fouiller, mais voyant qu’elles ne parvenaient pas à leur fin Mâhr ouvrit tout simplement son âme. C’est ainsi que Celesta et ses sœurs purent avoir une vision directe de la conversation qu’il eut avec Mordreka, quelques heures auparavant.
— Ton esprit ne connaît pas le mensonge, Haut Mage de l’Empire d’Ôma. Soit ! Nous chercherons cet enfant, ce Arion… et l’espoir renaîtra ! 
— Il va venir à vous de lui-même cette nuit. Il se rendra dans la forêt étoilée afin de calmer la douleur du sceau de Mordreka.

*

La fête battait son plein. Tout le monde était rassemblé sur la place du village. La boisson coulait à flot, et les quelques timides qui n’osaient pas danser dégustaient des pâtisseries. Les chants résonnaient à chaque table, se mêlant joyeusement au brouhaha ambiant.
Arion se tenait à l’écart de cette foule. Il connaissait bien quelques pas pourtant, c’est Vary qui lui avait appris, mais il refusa toutes les propositions. Une jeune fille s’approcha tout de même de lui. 
— Tu viens danser Arion ? 
— Non merci… Tu sais bien que je n’aime pas vraiment ça Maria…
Elle fit la moue et lui saisit les mains.
— Allez ! Viens s’il te plaît ! Tu ne vas pas rester tout seul dans ton coin quand même ? Je veux bien en temps normal, mais là c’est la fête ! Fais-moi plaisir Arion. Danse avec moi. Tandis qu’elle tentait de le convaincre, elle se rapprocha un peu plus de lui et le prit par les hanches. 
— Tu sais tout le monde te trouve étrange… Forcement, tu ne regardes aucune fille et pourtant tu veux que je t’avoue quelque chose ?
— Dit toujours…
— Tu as beaucoup de succès. Elles prévoient toutes de se marier avec toi. D’autant plus que nous aurons bientôt tous l’âge de célébrer des unions. Mais je n’arrête pas de leur dire que tu choisiras la plus belle.
Elle le baisa sur la joue avant de glousser et de se tourner vers ses camarades qui regardaient la scène avec jalousie.
— La moins bavarde surtout. Mais tu sais Maria pourquoi tu ne vas pas voir Tymmi. Il est bien plus intéressant que moi et en plus ses parents sont plus riches que les miens…
— Parce que c’est toi le plus beau et le plus fort aussi ! Les filles ! Arion va nous porter chacune notre tour ! 
Les prétendantes, éperdument amoureuses, se ruèrent vers eux, et Arion douta de pouvoir les satisfaire toutes.
— Bon d’accord Maria… Tu as gagné… Qu’est-ce que je dois faire pour que tu me fiches la paix ?
Elle le traîna vers la piste de danse et le serra tout contre elle. Cela sembla durer une éternité. Toutes les amies de Maria s’échangèrent le cavalier puis, pour finir, elle l’entraîna à une table.
— Tu bois quelque chose mon bel écuyer ? 
— Non merci… j’ai rempli ma part du contrat je peux y aller maintenant ?  
S’il avait su jamais il ne serait venu à la fête. Il en avait de bonnes son père. Il se promit de refuser, la prochaine fois qu’une idée aussi lumineuse l’effleurera.
— Non non non. Tu n’as pas encore fini mon chou. 
Elle avait le teint frais et à la regarder de plus près Arion n’avait pas bien fait attention à sa tenue. Il déglutit péniblement et tenta de dégager sa vue du décolleté plongeant qui s’offrait à lui. La belle pot de colle défit sa natte et laissa sa tignasse rousse cascader sur ses frêles épaules.
— Que ! Qu’est-ce que tu fais Maria ? 
Affolé, ne sachant comment réagir Arion rougit jusqu’à la racine des cheveux tandis que sa cavalière s’asseyait sur ses genoux et l’enlaçait fougueusement.
— Ce que je fais ? Je t’embrasse pardi. Pour une fois que je t’ai tout à moi ! 
— Bon, je vais tâcher d’être claire pour une fois. Je n’ai pas envie de te prendre pour femme ou pour quoi que ce soit d’autre ! Ni toi ni tes amies ! En vérité, aucune fille de ce village ne m’attire. Voilà, tu es contente ?
— Comment oses-tu ! Tu es vraiment un mufle Arion ! 
— Mais oui c’est ça... si tu le dis… 
Il la repoussa poliment et s’éloigna en direction de la forêt étoilée. Enfin il retrouvait son monde, loin du bruit et de la foule. Mais le répit ne fut que de courte durée, car déjà Maria était sur ses talons. 
« Quel pot de colle cette fille ! Non, mais vraiment ! Jamais elle ne va me lâcher ? »
« Tu l’as bien cherché avoue le quand même » lui répondit une voix dans son esprit. Arion sursauta et parcourut la forêt alentour du regard.
« Vous n’êtes pas Mordreka ? »
« Avec cette voix, ça m’étonnerait… et puis, penses plus doucement, tu vas ameuter tous les peuples de la forêt avec ta voix ! »
« Comment cela ? Et puis d’abord qui êtes-vous ? »
« Pour le moment, tout ce que tu dois savoir c’est que je suis là si tu as besoin d’aide… et aussi une chose… faut vraiment que tu te débarrasses de cette fille-là ! Elle n’est pas pour toi ! »
« Merci de l’information… râla Arion à l’adresse de l’inconnu, mais comment je lui fais comprendre qu’elle doit partir ? »
« Dis-lui que tu as déjà une fiancée. Ce qui n’est qu’un demi-mensonge entre nous ».
« D’accord, mais si elle me demande son nom je réponds quoi ? »
« Larya »
« Et qui est cette Larya ? » 
Mais la voix avait déjà disparu et le jeune homme fut percuté par Maria. Il ne distingua pas son visage dans la pénombre seulement le son rauque de sa respiration saccadée. 
— Qu’est-ce que tu fais encore ici Maria ? 
— Je te suis, ça ne se voit pas ? Cracha-t-elle. Tu m’as humilié Arion ! Tu n’avais pas le droit de me repousser ! 
Cherchant à paraitre le plus naturel possible, le jeune homme lâcha d’un ton désinvolte : 
— De toute façon j’ai déjà une fiancée alors tu vois, pas la peine de t’accrocher…
— Ha oui ! Et comment elle s’appelle cette inconnue ? Je t’écoute ! 
— Larya.
— Larya… elle rumina quelques secondes ce nom et sembla vouloir le vomir, et elle habite où cette Larya, hein dis moi ? 
— Heu… Nous ne nous sommes pas rencontrés, souvent tu sais. Son père l’a présentée au mien quand ils étaient à Daroh… je ne l’ai vu qu’une fois ou deux…
— Et elle est jolie, je suppose ? 
— La plus belle ! Ça, tu peux me croire ! 
— Tu es ignoble Arion ! Je te déteste ! Les larmes ruisselant sur son doux visage, Maria s’enfonça dans la forêt.
— Heu... Maria ! Le village est de l’autre côté !
« Et puis tant pis si elle veut se perdre ça la regarde ! »
« Bien joué petit ! Allez, à présent poursuis ta balade. J’ai hâte de voir où la destinée va nous mener ! » 
Tentant de faire abstraction de cette voix prenante, Arion avança au cœur de la forêt et arriva à l’orée d’une petite clairière. Il retira ses gants. Sa main le piquait. Il la regarda durant quelques secondes, mais très vite son regard fut attiré par le bruit d’un cours d’eau. À la lumière de la lune, Arion scruta les profondeurs du liquide. Autour de lui le vent soufflait d’une légère brise et les branches s’entremêlaient en une douce mélodie. Il s’assit alors près de la rivière sans cesser de l’admirer. Une sensation étrange et poignante l’envoûtait. Pareil à celle ressentie dans la grange. Une aura l’envahit, proche de celle de Mordreka, mais plus puissante. 
En lui la voix sembla lui murmurer d’agir. 
« Je ne sais pas… Que va-t-il se passer ensuite ? »
Mais la voix ne répondait pas et l’impression d’être observé se fit plus intense. Il ne put en supporter davantage. Sa main le brûlait. Instinctivement, Arion plongea la plaie irradiante dans l’eau. Lorsqu’il la retira il constata horrifié que son propre reflet n’avait toujours pas bougé. 
Il se tenait là, la main posée sur la surface plane. Incapable de réagir Arion ne pouvait détacher ses yeux de cette terrible vision. Mais, la voix ne l’entendait pas ainsi, et le jeune homme eût bientôt l’impression que son corps ne lui obéissait plus. Peu à peu il perdit le contrôle de ses sens et son âme céda sa place à l’inconnu. Sans qu’il n’en sache jamais rien Arion venait de se faire déposséder de son enveloppe charnelle. 
— Non, mais quel têtu ce gamin ! Il n’est pas vrai dans son genre ! Bon, ce n’est pas tout, mais au travail… 
Il dirigea le corps d’Arion dans l’eau et prit une poignée de terre entre ses mains. Il les leva en direction du ciel et s’écria :
— Je vous appelle ! Vous qui m’avez choisi il y a de cela mille ans déjà ! Vous qui m’avez chargé de la noble tâche d’éliminer en ce monde le Dieu Démon ! Venez à moi ! Je suis le sang et la chair de celui qui échoua et mon âme est celle de Kalicha le héros divin ! Répondez-moi ! « À présent je te rends ton corps. »
Arion se réveilla trempé jusqu’aux os. Et constata surpris qu’il se tenait debout dans le cours d’eau au beau milieu de la nuit. Toujours cette sensation qui l’étreignait. Se sentant un tant soit peu ridicule à barboter ainsi dans la rivière, il voulut en sortir, mais une force étrange le força à revoir sa décision. Une main l’empoigna au bras et le retint prisonnier du liquide.
— Tu nous as appelés, mortel ! Nous sommes venus ! Ne nous fausse donc pas compagnie après nous avoir dérangés. Quelle impolitesse ! 
Une créature de l’eau se matérialisa face à lui. Une femme comme jamais il n’en avait vu. Une chevelure océane, une peau pâle et des yeux semblables à l’immensité des mers. Arion assistait à sa première apparition divine. Et rien. Ni la terre qui tremblait sous leurs pieds ni les vents déchaînés ne pouvaient le détacher de cette sensation de puissance qu’il ressentait à son contact. 
— Je n’ai appelé personne moi ! Croassa-t-il tant bien que mal.
Pour unique réponse, elle gloussa et l’invita à regarder derrière lui. Pour son plus grand malheur, le phénomène ne s’arrêta pas là. Une autre femme apparut, sortie tout droit des arbres et de la terre. Une créature à la peau mate et aux yeux d’ambre.
— Quelle impudence mortel ! Notre sœur va arriver, tu t’expliqueras avec elle ! Pour l’heure, tiens-toi tranquille ! Ne prononce pas un mot ! Ta voix, déjà, m’exaspère ! 
— Terra ! Je te prie de ne pas te montrer si dur avec lui ! Comment pourrait-il comprendre quand il vécut dans l’ignorance… tout comme nous d’ailleurs.
— Ne cherche pas à le protéger Celesta ! Tu sais comme moi que ce n’est pas lui qui nous a appelés ! 
— Et alors ? Il est là c’est tout ce qui importe ! Au nom de notre sœur je te demande de l’écouter et de l’accepter comme ce qu’il doit être.
— Ridicule ! 
— C’est un ordre Terra ! 
Le vent augmenta en intensité et Arion eut grande peine à rester debout. Puis, tout à coup, les éléments se calmèrent et celle qui fut nommée Celesta apparut près d’eux. Le jeune homme se perdit dans son regard de métal. Autour d’elle, une douce brise à l’odeur d’été flottait langoureusement, faisant voler son interminable chevelure d’argent.
— Arion, délivre ton savoir et fais-nous part de tes désirs. Notre temps est précieux et longue est la route qui te mènera à l’apogée de ta destinée.
— Je… Je ne sais pas… je ne vous ai pas appelé moi… qu’est ce que vous voulez que je vous dise ?
Face à la fureur naissante de la déesse de la terre, Arion tenta de retrouver son calme et se concentra sur la réponse à donner. 
— Il suffit sœur ! Tu lui fais peur ! rétorqua Océania, déesse des océans, comprend-le, il ignore tout de nous.
— Et nous allons l’éclairer. 
Celesta se tourna vers lui. « Nous sommes les trois Divines. Terra Impératrice de la terre, Océania reine des Océans et moi… Célesta Impératrice de la vie Maîtresse des cieux. Tu as rencontré notre sœur Mordreka Impératrice de la mort et tu as reçu sa marque, le sceau de la Mort Subite, son essence.
« Pars chercher mes sœurs… » Il les avait trouvées certes. Mais que devait-il leur dire maintenant qu’elles se tenaient face à lui ? 
— Je... Je ne sais pas quoi vous dire... Encore une fois ce n’est pas moi, mais un autre moi qui a fait ça... 
Il se sentit soudain ridicule d’avoir prononcé ces mots.
— Arion ! Nous savons ce qui fut dit par ma sœur, ce que tu as vu, ce que tu as ressenti et pensé à ce moment précis de ta vie. Mais il te faut nous confirmer que tu l’as bien vu de tes propres yeux. Il faut que tu nous donnes une preuve de sa visite.
Le jeune homme tendit sa main droite, celle portant le sceau, persuadé que cela suffirait à les satisfaire, mais Terra fut moins souple que son ainée.
— Comment était-elle ? Décris-la-nous. Rares sont les mortels ayant aperçu son visage. 
Rassemblant son courage Arion fit une description, la plus précise possible, de la femme qu’il avait vue quelques heures auparavant.
— Elle avait les cheveux couleur de feu, de grands yeux d’or, le teint pâle. Chacun de ses gestes était d’une grâce infinie. Mais ce qui m’a le plus marqué c’est sa voix, empreinte d’une profonde souffrance et en même temps d’une incroyable puissance, voilà tout ce que je peux vous dire.
Terra échangea un bref regard avec ses soeurs et les trois déesses disparurent. Mais avant de s’évaporer, Océania s’approcha de lui, lui étreignit les mains et le baisa au front.
— Mon présent, car j’ai confiance en ma sœur.
Puis elle s’enfonça dans la rivière, pour ne plus en ressortir, laissant le jeune homme seul et trempé. Ahuri, Arion sortit tant bien que mal de l’eau et regarda entre ses mains. Océania y avait glissé une magnifique pierre bleue rayonnant de mille feux. Il y plongea son regard et crut voir la forêt étoilée d’un autre œil. Mais le phénomène lui fit un mal de crâne abominable et Arion la rangea dans sa sacoche se jurant de l’examiner plus tard. Le cœur et l’esprit empli de doutes et de souvenirs étranges il rentra chez lui. 
À peine eut-il passé la porte que son père le questionna avidement sur sa soirée, lui laissant à peine le temps de se débarrasser de sa ceinture.
— Tu t’es bien amusé ? 
— Assez bien… Mais je n’ai pas dansé.
— Et qu’as-tu fait d’intéressant si tu n’as pas dansé ?
Arion se sentit contraint de mentir :
— J’ai bu un verre ou deux et parlé avec Maria.
— C’est une très jolie jeune fille cette Maria tu ne trouves pas ? 
La curiosité de son père l’obligea à poursuivre une discussion qu’il jugeait inintéressante au possible.
— Oui elle est plutôt pas mal... mais pas très futée et assez banale… râla Arion feignant une grimace de désintérêt.
— Toujours égal à toi-même mon fils ! Tonna Sam en rigolant.
— Il faut croire que je tiens ça de toi. Mais toutes les femmes ne sont pas comme maman, alors ça limite très vite le choix.
— Qu’elle serait heureuse d’entendre cela ! 
Il marqua une pause et lui lança un grand sourire avant de poursuivre, joyeux : « Allez au lit ! Demain, je t’amène avec moi à Daroh pour livrer ma cargaison de céréales à Sir Daktiro. 
— Attends, tu me laisses venir avec toi ? S’égosilla Arion les yeux pétillants de joie. 
— Bien sûr ! Tu es un homme à présent ! Il te faut découvrir le monde qui est le tien. 
L’ouverture se profilait devant lui. Très vite il remit son cerveau en marche, le moment était venu de le questionner, mais il savait Sam peu enclin à toute discussion sur les sujets qui intéressaient et intriguaient Arion. Il décida tout de même de se lancer. Le résultat fut celui attendu, Sam s’emporta.
— Quelle folie ! Pourquoi aller voir ailleurs quand tout ce dont nous avons besoin est proche ? 
— Pourtant, des humains ont déjà parcouru ce monde non ? Les légendes en parlent… Certains auraient même rencontré les Quatre Divines. 
— Les Légendes ne sont que cela fils ! Des légendes. Concentre-toi sur ce que tu connais et ce que tu peux toucher, pour le reste, oublie, ça vaut mieux…
Mais Arion ne comptait pas laisser son père s’en tirer aussi facilement, il insista lourdement : « On dit que la forêt étoilée est peuplée d’elfes. La bibliothèque de Daroh doit être remplie d’ouvrages à leur sujet. J’aimerais bien en rencontrer.
— Et tu n’en verras jamais ! Ça n’existe pas, et puis de toutes les manières ça te servirait à quoi de savoir ? Qu’est ce que tu penses trouver ? S’énerva Sam.
— Des réponses peut-être.
— Tu n’en as pas besoin ! À présent, va te coucher et sois en forme pour demain. Si tu n’es pas levé avant l’aube je te laisse ici ! 
Arion allait répliquer, mais il sentit, au ton employé par son père, que la discussion était terminée. 

*

— Que lui as-tu donné Océania ! S’exclama Terra terrifiée. Ce n’était pas le moment ! 
— Et pourquoi pas ? S’il est effectivement la réincarnation de Kalicha, cette pierre lui revient de droit à moins que je ne me trompe où que tu ne fasses pas confiance à notre sœur. Insinua calmement la déesse des océans.
— Nous ne connaissons pas son potentiel ! C’est une folie ! Et s’il s’en servait à des fins maléfiques ?
— Cela suffit toutes les deux ! Trancha Celesta d’une voix glaciale. Ce qui a été fait est fait, nous ne pouvons le défaire, telle est la règle. Il est bientôt prêt. La marque s’étend, elle va remplir son office. Combiné à la Pierre Cristalline, Arion trouvera très vite ses alliés et nous serons fixés sur le dénouement de cette aventure qui dure depuis trop longtemps déjà. Les pions se placent inexorablement. Prochainement les dragons et leurs souveraines arpenteront le ciel à nouveau et le règne du Dieu-démon s’achèvera.
— Navrée de te sortir de tes rêveries ma chère sœur, l’interrompit Terra, mais il est loin de ressembler à Kalicha et quant à Solstyce, nous n’avons aucune idée de la date de son retour.
— Ni de sa nouvelle forme, poursuivit Océania, ce qui nous laisse dans l’ignorance la plus totale.
– Les dragons sauront l’identifier, Dragnar reconnaîtra la puissance de sa maîtresse.

*

Baigné par la douce clarté lunaire, un soldat du roi Balgar arpentait la forêt étoilée à la recherche du souverain des elfes.
— Tu sors de tes frontières, mortel humain ! Passé cette ligne tu ne seras plus sous la protection royale.
— J'apporte un message au seigneur Alfard sur ordre de mon suzerain, je demeure donc sous sa protection.
L'air se fit plus oppressant tout à coup et les arbres semblèrent s'animer d'un appétit féroce.
— Le traité d’alliance stipule que je peux être menacé lors d’une mission ordonnée par mon seigneur ! Rugit tremblant le cavalier. Menez-moi à votre souverain ! 
— Nul besoin de hausser ainsi le ton mortel ! Tu réclames le souverain des elfes ? Me voici devant toi. Transmets ton message et quitte mes terres sur l'heure.
Une ombre sortit de l'épaisseur de la forêt, d'une prestance telle, que l'humain ne put que baisser les yeux face à tant de dignité et d'éclat.
— Seigneur Alfard pardonnez mon impudence, mais ce message est de la plus haute importance. Aussi permettez-moi de vous en faire part immédiatement. Mon roi insiste sur le caractère urgent de la situation.
— Comment ose-t-il m'envoyer un simple soldat ! Quelle décadence ! Il ne daigne même plus se déplacer en personne.
— C'est que, noble souverain, mon roi est gravement malade... 
L'humain inspira un grand coup et sortit un bout de parchemin de dessous sa tunique.

‘L'heure approche mon ami où nous devons à nouveau nous réunir. Notre alliance doit reprendre vie afin que revive l'espoir. J'ai fait un bien étrange rêve qui m'a mené par-delà le temps et l'espace. Bientôt la mort m'emportera et avec elle mes secrets et mes désirs de paix et d'unification prendront fin. Ils s'éteindront pareils aux étoiles qui cèdent leur place au soleil à l'aube d'un petit matin. Me rejoindras-tu mon ami, sur ma couche, assister à ma mort. Alors je te révélerai le nom de celui qui est né pour remplacer Kalicha et pour guider l'humanité vers de nouveaux lendemains. Car si Ketlais échoua, il n'en demeure pas moins que l'espoir subsiste. Un rayon de soleil perce la couche ténébreuse qui gouverne notre monde depuis l'apparition du Dieu Démon. Je ne vivrai peut-être pas assez vieux pour voir ces soleils se lever, mais je souhaiterais que tu les regardes pour moi. 
Je t'attendrai, comme d'habitude. 
Balgar’.

Troublé, Le seigneur elfe serra le maigre parchemin entre ses longs doigts effilés, le regard plongé dans le firmament il ordonna au soldat de quitter ses terres et pris la route de sa bien aimée cité : Lautyrna. 
Illuminée de toute part, la glorieuse cité des elfes se dressait fièrement au cœur de la forêt étoilée. Au galop, il la traversa et ne fit halte qu’aux abords de l'entrée de son modeste palais. Un garde blond l'accueillit.
— Votre cheval est épuisé mon roi. Cela ne vous ressemble guère de maltraiter ainsi votre monture.
— Ne me cherche pas querelle Amalak. Je n'ai pas le temps de m'occuper de sa santé. Trouve-m’en un autre, plus rapide et reposé. Je pars sur l'heure pour Daroh.
Amalak fut surpris par cette déclaration.
— Si je puis me permettre de vous poser cette question... pourquoi vous rendre à la cité humaine ? Nous n'avons plus rien à faire avec eux. 
Il fronça les sourcils semblant avoir trouvé dans cette déclaration une explication plausible à cette invitation. 
— Le roi Balgar vous aurait-il convié à un entretien ?
— Tu parles trop général Amalak. 
— Vraiment ? Répondit ce dernier l'air de rien. Je ne trouve pas. 
— Le roi se meurt. Je dois me rendre à son chevet, il y va de notre amitié.
— Permettez-moi de vous y accompagner.
— Il est des secrets que même un ami ne peut entendre. Va me chercher une monture. Le temps presse.

*

Après une bonne nuit de sommeil et un repas de roi, Arion et Sam partirent pour la cité fortifiée de Daroh. 
Les heures s'écoulèrent lentement. Arion ne cessait de retourner dans sa tête les événements de la veille et quand enfin les portes de la cité leur apparurent, il fut soulagé de pouvoir quitter le confort sommaire de la charrue. Ils furent arrêtés par l’un des gardes en faction :
— Holà étrangers ! Montrez-moi votre ordre de passage et déballez votre marchandise ! 
Sam lâcha les rênes et sortit une lettre de dessous sa tunique. Le garde posa sa lance contre le mur et l’ouvrit. La lecture achevée, il rendit le papier à Sam et les laissa entrer sans même prendre la peine d’inspecter le contenu du chariot.
— Sir Daktiro vous attend près des écuries.
Dans un fracas assourdissant, tandis que la herse se levait permettant le passage de l’attelage, Arion pénétra au cœur de la grande cité de Daroh. Arrivé à destination, Sam détacha les chevaux et les confia aux bons soins du palefrenier, puis il se mit à décharger ses sacs. 
Arion s’ennuyait passablement et regardait avec intérêt chaque maison, étal ou personne déambulant sur la place. Il fit quelques pas et la sensation d'être observé le submergea à nouveau. Instinctivement, il étreignit la pierre offerte par la déesse des océans. Tandis que son esprit tentait de sonder les environs à la recherche de l'intrus, une main ferme l'empoigna à l'épaule et le sortit de ses rêveries.
— Je vous présente mon fils ! Il fait ma fierté même s’il n'a toujours pas trouvé femme à son goût ! 
— Sois le bienvenu à la cité de Daroh Arion. Tu dois déjà me connaitre, du moins de nom : Sir Daktiro, ami du Roi Balgar et client de ton père. Un jour peut-être ferons-nous affaire ensemble ? 
Le Noble lui tendit la main et lui dédia un large sourire complice.
— Ravi de faire votre connaissance Sir Daktiro, mon père parle de vous comme d'un grand homme à l'esprit aiguisé et au jugement impartial, aussi serais-je honoré si je pouvais faire un jour mon commerce avec vous. Répondit Arion d'un ton égal.
— Quel brave garçon ! Avec pareille éducation il aura de l'avenir à la cité.
— Qui sait... Peut-être arriverez-vous à en faire quelque chose. S'esclaffa Sam.
— Pour sûr ça l'ami ! Mais je n'ai plus la patience nécessaire pour m'occuper d'enfants. Et puis, quelque chose me dit que ce jeune homme rêve d'aventure. Pour ma part, c'est la nécessité qui m'a mené par-delà nos contrées et je peux t'y assurer, que toutes les créatures n'y sont pas maléfiques.
— Avez-vous vu des elfes ? Des galaxies ? Des dryades ? Demanda Arion désormais impatient d'en apprendre davantage.
— J'ai aperçu, de loin, des dragons en sommeil. Un ami elfe m'a fait savoir dans le plus grand secret qu'ils attendaient leur reine.
Le noble tenait à présent le bras d'Arion et l'entrainait plus à l'écart, lui parlant sur le ton de la confidence : “La bibliothèque est remplie d'ouvrage au sujet du monde par-delà nos frontières. Le roi lui-même s'y est déjà rendu afin de protéger la forêt étoilée qui borde ton village d'une invasion ennemie.
— Des dragons ? Où sont leurs terres ? Il y en a beaucoup ?
— Allons, un peu de retenue ! Rugit le noble en riant de bon cœur. Attends-moi là... 
Arion le vit se diriger vers Sam et s'entretenir quelques minutes avec lui. Le jeune homme sentit le regard de son père peser sur lui et s'en détourna vivement. Les voix s'élevèrent rapidement aussi Arion décida-t-il de faire quelques pas. Une main dans sa poche et l'esprit attentif il cherchait à ressentir à nouveau cette étrange force qui l'avait submergé dès son entrée dans la cité. 
‘Montre-moi ce qui agite mon âme’
Obéissante, la belle pierre enflamma son avant-bras droit, mettant la chair à vif ; son esprit entendit et vit plus que celui du commun des mortels. Mais ce chahut intérieur lui donna le tournis. Il la lâcha, quand, tout à coup, quelque chose attira son attention. 
Perché sur les remparts, une personne, plutôt fine, le visage caché par un large capuchon ténébreux le fixait. Des yeux d'émeraude pénétrèrent son corps et son âme, avant de se refermer. Arion fit un pas en avant, guidé par une volonté qui n'était pas la sienne, mais l'inconnu leva une main. Le jeune homme s'arrêta net.
‘Pas encore Arion, pas encore, l'heure de nos retrouvailles n'a pas encore sonné. Suis Sir Daktiro. Lui seul pourra te mener vers moi. Je t'attendrai. Nous t'attendons depuis si longtemps. Suis-le et ne te perds pas surtout. Quoiqu'il arrive, n'oublie jamais que toute chose suit son cours.’ 
‘Qui êtes-vous ? Que me voulez-vous ?’ Mais l'inconnu avait déjà disparu laissant Arion seul hanté de questions.
— Arion ! Viens un peu par là mon garçon ! L'appelait le noble. Ton père m'a confié ta surveillance. Il me demande de te faire visiter la cité. Que dirais-tu d'aller faire un tour en ma compagnie ? 
— J'ai comme l'impression que je n'ai guère le choix... Répondit-il en jetant un dernier regard aux remparts.
— Bien sûr que si !
— Je n'en suis pas si sûr voyez-vous... Alors ? En route ?
Ils traversèrent de petites rues délabrées aux toits poussiéreux et aux pavés miteux pour déboucher sur une large place bordée de jardins. Là, majestueusement perché sur sa falaise se dressait la forteresse de Daroh. Un édifice titanesque, à l'égal de la grandeur de ses souverains. Un rapide coup d'œil alentour indiqua à Arion qu'ils avaient quitté le centre-ville pour arriver dans les quartiers riches de la cité. Il se sentit pitoyable affublé de ses vêtements de paysans et tachait de faire bonne figure en marchant fièrement aux côtés du noble. Bientôt leurs pas les menèrent sur un petit chemin longeant la roche et l'interminable montée commença. 
— Nous allons au palais ? S'étonna Arion
— Oui je te mène à la bibliothèque. Tu semblais intéressé, mais peut-être me suis-je trompé ?
— C'est ce que je voulais en effet.
— Alors suis-moi et tiens-toi tranquille.

1 commentaire:

  1. Poowaaa, je suis scotché! Ce premier chapitre est très bon, très captivant et super bien écrit!! Bravo à toi. Je lirai la suite demain sans doute! Bisous

    RépondreSupprimer